La Pudeur des Mycètes

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 « Comment faire terre commune ? » Voici la question que pose Marine Nouvel, deuxième artiste à exposer dans le cadre des Résidences de la Cité de sciences et de l'industrie. Depuis plusieurs mois, elle a consacré son temps à mener des recherches sur

« Comment faire terre commune ? » Voici la question que pose Marine Nouvel, deuxième artiste à exposer dans le cadre des Résidences de la Cité de sciences et de l'industrie. Depuis plusieurs mois, elle a consacré son temps à mener des recherches sur le champignon, cet être étrange qui n'est ni un végétal, ni un fruit, ni une fleur et pas même un animal... C'est un Mycète, classé dans le mystérieux règne des Fungi. En les observant, en les étudiant, l'artiste s'est peu à peu intéressée à la manière dont notre propre corps, visqueux et enrobé de « la pesanteur de la chair », pouvait faire « corps commun » avec ces champignons. « Devenir champignon n’est pas une mince affaire, il faut se délester de sa peau, devenir réseau, racine, entrer dans la terre, devenir multiforme, ubiquiste » confie l'artiste. Il s'agit pour elle, imprégnée notamment de la pensée de Donna Haraway, de « sortir de l'idée de compétition et explorer la notion d'espèces compagnes ». Or notre corps, justement, est déjà l'hôte d'une multitude de formes de vies. Notre enveloppe corporelle n'est qu'une interface de passage : de même que nous traversons le monde, le monde nous traverse sans cesse en retour et certaines formes restent en nous et nous habitent.

Dans l'installation qu'elle propose dans la galerie Art / Science, Marine Nouvel organise un écosystème qui brouille les frontières entre des êtres vivants (mousses, champignons, micro-organismes) et les représentations de ces mêmes formes. Dans ce chemin de terre de près de huit mètres, certains champignons poussent réellement devant nous, au rythme de l'exposition. D'autres ont été créés en céramiques, d'autres encore sont figés dans une résine transparente. Émergents de cette terre fertile et partagée, des fragments de corps semblent vivre en harmonie... Un genou, un pied, des fesses complètent un paysage où le corps humain n'est plus surplombant, dominant, mais intégré et dispersé, comme pétri d'un même désordre de vie.

L'artiste explique s'intéresser à « une société plus équilibrée dans laquelle les relations sont plurielles, changeantes, et interdépendantes. (…) L’intelligence sensible des champignons, leur pudeur et leurs mystères tapissent le sol terreux de mon installation. Je propose ici de regarder la terre, le composte, comme des strates de langages, des couches du passé, du présent et du futur. Parmi les corps qui se mêlent à la terre, parmi la chair molle, surgissent des résurgences du passé, des êtres qui ne cessent d’absorber le monde. »

Au fond de l'espace d'exposition, l'artiste propose une création vidéo, comme un prolongement ou un horizon de ce paysage plastique. On y voit trois femmes nues qui lentement forment, déforment et informent leur corps. Leur mystérieuse chorégraphie se déplie au rythme lent du monde des vivants, des cellules, des organismes. Elles semblent nous inviter, avant qu'il ne soit trop tard, à muer enfin pour commencer notre métamorphose.

Gaël Charbau, commissaire d’exposition.

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